mardi 9 avril 2013

Kim Jong-Un, et après ? Scénarios pour demain

En ce moment, les nombreux commentaires sur l’effervescence militariste de la Corée du Nord se terminent toujours par des considérations rassurantes. Kim Jong-Un ? Un pitre. Les bruits de bottes ? De la poudre aux yeux. Une guerre ? La Corée du Nord n’en possède pas les moyens. Bref : un conflit n’est pas pour demain. 

Tout optimiste qu’elle soit, cette conclusion laisse un goût amer. En Corée du Nord, faut-il le rappeler, des millions d’hommes sont soumis à un régime terrifiant. Penser que la posture actuelle de ce pays n’entraînera rien de sérieux est un scandale. Car le statu quo est en soi une perspective cauchemardesque : un peuple entier restera asservi dans des redoutables conditions.

Dès lors nul démocrate ne saurait se satisfaire d’un retour à la paix froide. Aussi est-il assez étrange de constater l'absence de tout commentaire sur une hypothétique mais vraisemblable chute de la République populaire démocratique de Corée. Pourtant l’histoire récente nous prouve que les dictatures communistes, comme toutes les autres, sont mortelles.

Voici donc quatre scénarios sur la possible fin de Kim Jong-Un.

Premier scénario : la Révolution de Soie

Sous son assurance d’apparat, le régime se sait condamné. L’économie nationale est exsangue, l’industrie périclite, des famines démesurées s’annoncent, une guerre signerait la fin de tout avenir.

Les autorités gouvernementales choisissent de déposer Kim Jong-Un et entreprennent une timide libéralisation du pays. Les effets sont immédiats : les points de passage vers le voisin du sud sont pris d’assaut. L’armée, décontenancée, renonce à faire usage de la force et finit par ouvrir la frontière.  Un gigantesque vent d’espérance souffle sur le pays. Chaque soir, des foules immenses envahissent pacifiquement les villes, réclamant la liberté. Le gouvernement est débordé : l’état communiste s’effondre définitivement.

Les goulags et prisons politiques sont ouverts. Les journalistes occidentaux affluent en masse et rapportent des témoignages hallucinants sur les tortures, les privations, les modes de rééducation des récalcitrants. L’on découvre une mortalité infantile effroyable. Les asiles de véritables mouroirs.

Les programmes guerriers et les liens avec diverses formes de terrorisme à travers le monde sont révélés. Ce pays à l’agonie et dévasté par l’idéologie possédait pourtant un pouvoir de nuisance considérable.

En France, Jean-Luc Mélenchon, piqué au vif par les remarques de Jean-Michel Apathie sur RTL, martèle que « le régime Nord-Coréen n’avait rien à voir, ni de près, ni de loin avec l’idéal communiste, dont il était une monstrueuse perversion ».

Les anciens apparatchiks tentent de négocier leur impunité en échange du renoncement à la répression. Ils finiront par être jugés lors de procès retentissants. Kim Jong-Un lui-même sera condamné à la prison à vie.

Corées du Sud et du Nord sont enfin réunifiées. Mais le coût de la reconstruction est tel que l’économie sud-coréenne est à la peine et devra chercher des financements au Japon, en Chine et aux Etats-unis. Les ex-ressortissants du Nord sont indéfectiblement marqués par leur existence passée. Certains experts estiment que seul un renouvellement de la population permettra à la longue d’envisager une véritable réunification dans les esprits.

Le Nord gagne la liberté et découvre les conséquences de cette liberté : tout devient à construire là où auparavant l’Etat encadrait le moindre aspect de l'existence. Dans cette attente, la misère existe toujours, le chômage explose, le coût de l’aide sociale pose un problème de premier ordre au nouveau gouvernement. Des partis extrémistes apparaissent, réclamant un rappel aux responsabilités du « Bien-Aimé Kim ».

Deuxième scénario : la Révolution de palais

Au cours d’un déplacement officiel de routine, Kim Jong-Un et son épouse Ri Sol-Ju entendent des cris de haine venus de la foule. Des caméras filment la réaction incrédule du dirigeant. Ces images seront vues et commentées par le monde entier.

Les plus proches conseillers du dignitaire l’encouragent à se protéger de cette poignée de provocateurs impérialistes. Le couple présidentiel est aussitôt exfiltré vers un lieu sûr.

L’on apprendra plus tard le décès brutal de Kim Jong-Un et de sa femme. Les circonstances ne sont pas claires : certains évoquent un banal accident de la route alors que la rumeur populaire accrédite plutôt l'hypothèse d'une embuscade de partisans. La photo des corps est rapidement rendue publique et diffusée à grande échelle.

L’Assemblée Populaire Suprême proclame la fin de la dictature. Le peuple nord-coréen fête sa libération alors que des violences éclatent un peu partout dans le pays. Des factions de l’armée s’opposent au nouveau régime et cherchent à installer un successeur dans la lignée du défunt dirigeant. Dans plusieurs villes, des militaires tirent sur la foule. Les morts se comptent par centaines. Des rumeurs prétendent que des activistes d’Al-Quaïda perpétuent la terreur en menant une guérilla secrète et cruelle.

Face au risque de "restauration", un gouvernement d’union nationale prend les rênes du pays. Il s’engage dans la voie d'une pacification générale afin d’assurer une transition vers un régime à l’économie de marché. Le terrorisme cesse, divisant les observateurs sur sa nature véritable.

La communauté internationale appuie ce gouvernement transitoire en dépit de certaines réserves. Les ONG déplorent des atteintes aux droits de l’homme : milices plus ou moins officielles, justice inféodée aux politiques, élections truquées. Les démocraties parient cependant sur l’avenir d’un pays en voie de libéralisation. En dépit de ses défauts, il se façonne un destin qui rendra possible une future réunification. De généreux programmes d’aide sont votés par la communauté internationale.

L’ouverture au marché engendre l’apparition d’une classe de milliardaires privés : hommes d’affaires, journalistes, industriels se partagent des sommes gigantesques. Certains nouveaux riches achètent hélicoptères et Bentleys. Une mafia coréenne fait son apparition, étroitement liée aux structures du pouvoir. Le pays devient une vaste zone de non droit. Parmi les plus grands décideurs du pays l’on retrouve des anciens apparatchiks du temps de Kim Jong-Un, officiellement reconvertis.

De grands hôtels low-cost poussent comme des champignons. Le pays se couvre de casinos. L’industrie du tourisme sexuel et de la drogue devient florissante. Eva Joly regrette sur Twitter que ce pays ait « troqué le despotisme contre la dictature du billet vert ».

La Corée du Sud protège ses frontières contre cet état corrompu. L’idée même d’une réunification devient absurde.

Troisième scénario : guerre civile et russification

Un mouvement de rébellion armée s’empare de plusieurs portions du territoire. Kim Jong-Un répond par la force en donnant l’ordre à ses militaires d’écraser ces « révoltés de carnaval ».

Les rebelles sont d’origine diverse : déserteurs de l’armée régulière et civils partisans sont semble-t-il appuyés par une aide logistique étrangère. Ce mouvement se définit comme « nouvelle UNPIK » (United Nations Partisans Infantry Korea), en référence à l'unité de combattants anti-communistes pendant la guerre de Corée.

Une longue guerre civile s’empare du pays. Chaque camp accuse l’autre de massacres, sans que la victoire ne se dessine. La propagande officielle annonce prendre des avantages majeurs sur les insurgés qui répliquent à leur tour en propageant sur les réseaux sociaux des photos commentées de leurs opérations de résistance.

La communauté internationale se réfugie dans l’attentisme, par peur des représailles d’un pouvoir toujours muni de la force atomique parmi, dit-on, d’autres armes de destruction massive.

Bernard-Henri Lévy fustige dans un éditorial du Point la passivité et l’égoïsme des pays libres face au drame nord-coréen. Bernard Guetta, sur France Inter, lui répond indirectement que « si implication étrangère il devait y avoir, ce serait d’abord pour aider la Syrie à faire tomber Bachar [El Assad] ».

Sans porter des coups décisifs, la rébellion affaiblit suffisamment le pouvoir pour soustraire à son autorité plusieurs provinces. Le sort bascule quand, à la surprise générale, les forces armées russes pénètrent en Corée par la minuscule frontière nord, large de moins de 20 kilomètres.

L’intervention russe « pour raisons humanitaires » a été décidée au « nom du droit d’ingérence ». Elle est efficacement soutenue par les forces partisanes. L’armée de Kim Jong-Un s’effondre et le siège de Pyonyang n’est qu’une formalité. Les « Spetsnaz », Forces Spéciales russes, sont accueillies en libératrices dans la capitale. Le palais présidentiel est pris d’assaut. Là seront découverts les corps de Kim Jong-Un et de Ri Sol-Ju. Une autopsie ordonnée par les libérateurs ne pourra pas infirmer ou confirmer la thèse du suicide.

Lors d’un voyage dans la « Corée libérée » maintenant sous la férule d’un de ses protégés, Vladimir Poutine suscite une vaste controverse en évoquant le « regard de la Russie éternelle tourné vers Port-Arthur », en référence au conflit russo-japonais de 1904-1905.

Quatrième scénario : US high-tech

Une escadrille de drones américains surprend Pyongyang à l’aube et détruit en quelques minutes tous les palais et monuments de la capitale. Kim Jong-Un tente de répliquer par la force mais les rares sites militaires encore intacts sont rendus impuissants par l’usage d’armes à impulsions électromagnétiques (IEM).

Ce qui reste de l’aviation militaire nord-coréenne se réfugie en Chine, alors que l’infanterie lève les bras pour signaler sa reddition aux drones qui sillonnent le ciel.

Kim Jong-Un fuit à l’étranger. Un gouvernement de salut provisoire est mis en œuvre sous l’égide des USA, avec pour mission d’entreprendre la réunification avec le Sud.

Plusieurs pays protestent officiellement contre « l’aventure néo-coloniale d’Obama » : Chine, Russie et Venezuela renvoient leur ambassadeur américain. La France de François Hollande ne condamne pas mais « regrette » que l’intervention ait été décidée « unilatéralement » sans caution du Conseil de Sécurité de l’ONU. La Corée du Sud « prend acte avec joie » de la libération de ses frères du Nord et met en place un agenda des discussions avec les représentants de l’autre Corée.

L’opinion publique occidentale est partagée entre le soulagement d’un dénouement somme toute anodin – l’arme nucléaire tant redoutée a fait long feu – et les critiques de « l’option militaire » des Etats-unis. Plusieurs médias d’envergure nationale, dont la chaîne franco-allemande Arte, évoquent l’usage d’armes prohibées, dont les effets sur le populations civiles apparaîtront à moyen ou long terme. Certains activistes appellent de leurs vœux « un nouveau Bradley Manning » pour rendre publics les documents top secrets au sujet des « pratiques génocidaires états-uniennes ».

L’afflux de Nord Coréens à Séoul engendre des réactions de rejet. Une manifestation sur le thème « chacun son kimchi » (nom d’un plat typique) réunit plusieurs centaines de milliers de personnes. Un groupe de musique local provoque un buzz planétaire sur YouTube avec son clip « Reste derrière ton 38 », en allusion au 38e parallèle qui sépare toujours les deux Corées.