vendredi 11 février 2011

Pays de flous

A mes amis roumains

Quelle image a donc le Roumain en France ? Disons-le tout net, pas nette. Depuis l’ouverture des frontières, les Tziganes installés ici et régulièrement montrés du doigt sont certes souvent cités comme Roumains, sans davantage de précision.

Je sais combien cela vous énerve. Mais ce n’est pas de cela dont je veux parler ; on aura l’occasion d’y revenir. Car bien au-delà l’actualité des nomades, dans l’esprit populaire, depuis fort longtemps le Roumain est flou.

Reconnaissons-le : nous autres Français sommes mauvais en géographie. Même sur notre propre continent, nous mélangeons tout. Tiens, prenez l’« Europe de l’Est » : zone géographique bordée à l’ouest par les pays germaniques et l’Italie, à l’Est par la Russie. Nébuleuse englobant la Pologne au Nord, les Balkans au Sud, et parsemée dans l’intervalle de pays plus ou moins étendus aux noms plus ou moins prononçables. Grosso modo, des pays slaves, ou tout comme. Leurs habitants sont de robustes travailleurs un rien arriérés, où l’on remarque des peintres de haut rang – peintres en bâtiment, cela va de soi – et de fiers artisans plombiers, véritable menace pour notre noble industrie nationale. Un danger qui agita la consternante campagne pour la constitution européenne, en 2005.

Bref : quelque part dans ce fatras, nous savons que la Roumanie existe, sans connaître très bien où exactement, mais après tout quelle importance ? Car votre géographie, nous l’ignorons. Votre histoire nous indiffère. Vos coutumes ne nous intéressent pas. Nous avons beau nous souvenir des leçons de Tonton Clémenceau et cultiver un sentiment plutôt bienveillant à votre égard, la réalité est là : vous êtes flous. Bien sûr nous nous souvenons de Ceauşescu et du procès truqué ; de la manipulation de Timişoara. Ceux ayant des lettres ont lu Cioran et Ionesco (mais ils écrivaient en français), Mircea Eliade peut-être, Panaït Istrati vraisemblablement pas. Eminescu ? Un inconnu. Et si le cinéma roumain fait de timides percées sur notre scène nationale, cela ne suffit pas à nous faire connaître votre pays. Son image approximative reste enracinée dans de tenaces poncifs de la culture populaire.

Connaissez-vous Le père Noël est une ordure ? C’est un film comique de chez nous, oh pas tout jeune, mais toujours revu avec plaisir, un grand succès d’un genre mineur que nous appelons comique de boulevard. Il passe à la télévision française chaque année, autour du 25 décembre. C’est très drôle, cruel, et d’un parfait mauvais goût. Dans ce film, en un mot, tous les personnages sont, à des niveaux divers, d’horribles bonshommes, égoïstes, cyniques, bien-pensants ; ils sont bêtes et méchants.

Et l’un de ces personnages, Monsieur Preskovic, est un immigré. Des Balkans, des Carpates, peu importe ; le film est une vaste blague et ne recherche aucune réalité géopolitique. Mais il dépeint très bien le sentiment du Français moyen à l’encontre des ressortissants « d’Europe de l’Est ». Preskovic est bien gentil, mais il est aussi bien collant. En un mot, il embête tout le monde avec ses plats nationaux qu’il est si content de faire partager en cette veille de Noël. Et évidemment, ses mets sont immangeables – il faut voir la tête des Français en goûtant bien malgré eux les fameux doubitchous « roulés sous les aisselles ».


Eh bien, sachez-le, dans la tête d’un Français, vous éveillerez le souvenir de Preskovic, avec ses costumes étriqués, ses manières chattemites, sa chapka qu’il triture d’un air emprunté, sa bonne volonté envahissante, ses cadeaux dont personne ne veut. Le personnage n’est pas Roumain ? C’est vrai, mais n’oubliez surtout pas que pour nous vous êtes flous, et nous vous confondons avec tous vos voisins, et même les voisins de vos voisins. C’est vexant ? Je sais. Mais c’est ainsi.

Un conseil d’ami : procurez-vous Le père Noël est une ordure. Regardez la façon dont les acteurs se moquent d’eux-mêmes – oui, les Français cultivent l’autodérision – et comment ils représentent l’homme de l’Est. Et pensez à lui quand vous parlez avec nous. Vous comprendrez mieux la force innocente de certains préjugés français. Et, j’en suis sûr, pour cela vous me remercierez.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire